Vendredi 14 décembre dernier, Gilles MICHAUD a été invité par l'association les Châtelleraudais réunis pour débattre de la démocratie locale avec plus de 140 personnes.
Pour les personnes qui n'ont pas pu assister à la conférence débat, voici le contenu de son intervention :
LA DEMOCRATIE LOCALE, UNE EXIGENCE DE SOLIDARITE.
Le libéralisme économique, qui s'appuie sur l'individualisme et le consumérisme, a transféré ses effets sur la vie politique, qui est rythmée par les sondages officiels et officieux, les budgets de communication, le clientélisme -pour rester soft-, l'endormissement des foules par des shows permanents et la représentation du pouvoir, au sens de représentation théâtrale et de mise en scène.
Nous vivons, ici mais pas seulement ici, dans une démocratie de marché.
Une fois par an le monarque, entouré de quelques membres de sa cour, consent à descendre auprès de ses sujets et, après la séquence de promotion par la diffusion d'un petit film, il se trouve toujours, chaque année et souvent le même, un riverain qui proteste avec véhémence contre les déjections canines sur son trottoir et le bruit de la plaque d'égout chaque fois qu'un camion passe ; chaque année le monarque enjoint à son intendant -pardon, son premier adjoint- d'en prendre note, mais chaque année l'histoire se perpétue et rien n'est fait.
Ce n'est pas son premier but -Romain LACUISSE et Philippe CALMEL que je remercie vous le diront- mais la démocratie locale peut-elle répondre à cela ?
D'abord des CONSTATS :
- un rythme électoral très rapide (municipales en 2001, présidentielles en 2002, régionales et cantonales en 2004, référendum sur la constitution européenne en 2005, présidentielles puis législatives en 2007, municipales et cantonales l'an prochain), rythme qui confine à l'overdose et à la confusion,
- d'où un phénomène d'abstention assez large, sauf l'exception du premier tour des présidentielles, moment-clé du show politique,
- un phénomène de "zapping" ou de réajustement du scrutin précédent (cf le vote massif de gauche de 2004 en réaction à l'impossibilité pour ses électeurs de voter selon leurs idées au deuxième tour de la présidentielle de 2002 ; cf le non au référendum européen alors que le Président CHIRAC et François HOLLANDE se battaient pour le oui),
- une communication par l'image de plus en plus grande du pouvoir en place, aux frais des contribuables, au détriment de l'information et du débat,
- le cumul des mandats qui sclérose les acteurs politiques dans une classe ou une caste coupée des citoyens et qui ne se renouvelle pas ou peu,
- un affaiblissement des partis politiques qui ne sont plus des laboratoires d'idées mais demeurent néanmoins à quelques personnes qui y font la loi des machines d'homologation électorale ; ces partis excluent le citoyen spontané sauf parfois dans le cas des dernières péripéties de la démocratie dite participative qui relève plus du phénomène cosmétique ou d'opérette que d'un véritable cheminement politique désintéressé.
Ensuite des QUESTIONS :
- cela paraît une évidence, mais qu'est-ce qu'une ville ? Est-ce une adjonction de parcelles cadastrées, de canalisations et de foyers fiscaux ou bien une communauté d'histoire, d'intérêt, de vie et de paysage ?
- qu'est-ce que l'action publique ? Est-ce l'énergie dépensée à assurer par tous les moyens la pérennité du pouvoir ou l'association des citoyens à leur destin commun ?
- et donc : qu'est-ce que l'action publique dans une ville ?
Ce devrait être la cohérence politique et la cohésion relationnelle entre ses habitants dans le souci d'une ville partagée par tous : la ville ne doit plus être seulement l'addition (et parfois même la soustraction) de ses quartiers, mais, au-delà, ces quartiers, comme dans un corps, doivent acquérir le sentiment d'appartenance à un ensemble qui les dépasse, les protège et les motive, si une démarche politique l'impulse.
D'où quelques PISTES DE REFLEXION :
- la démocratie locale, certains diront de proximité, doit être l'OUTIL approprié pour aspirer à ce sentiment d'appartenance,
- mais il y a des RISQUES :
1. l'émiettement et la multiplicité des conseils de quartiers: il faut éviter l'épuisement des mêmes acteurs, ceux qui sont sollicités partout ou qui s'imposent partout, éviter le repli du "petit quartier historique" sur lui-même en apprenant déjà à sortir de celui-ci vers une structure plus grande; en ce sens, ici, OZON est un petit quartier, comme CHATEAUNEUF ou les MINIMES,
2. la formation de contre-pouvoirs très vifs, ingérables, face au pouvoir en place, élu, qui est celui issu de la représentation municipale ; il y a un équilibre à trouver,
3. la mise en place d'un contrôle social excessif, de type "big brother" ou panoptique de BENTHAM, avec la tentation de tout savoir sur tout et sur tout le monde.
- mais aussi des ENJEUX :
1. la mixité des populations et des générations à l'intérieur d'un conseil de quartier, avec nécessairement à terme, mais dans quelles conditions, une place pour des étrangers et une autre pour les moins de 18 ans voire les anciens,
2. la réalisation de ce sentiment d'appartenance à la même ville par la réunion une ou deux fois par an des différents conseils de quartiers,
3. la comparaison avec d'autres villes, en FRANCE et ailleurs, ne serait-ce qu'avec nos villes jumelées,
4. la liberté de parole par l'absence du maire aux travaux des conseils de quartiers, lequel serait évidemment présent pour une restitution annuelle et collective,
5. une autre manière de travailler des services municipaux, non plus de manière verticale et isolée mais de manière transversale et coordonnée; par exemple, le numéro vert pour répondre à une demande de pelletée de goudron devant chez soi me paraît en grande partie une fausse bonne idée, toujours à relier sur le secteur sensible de la voirie au souci électoral de répondre à la multiplicité des doléances individuelles alors que les espaces globaux et communs sont souvent désastreux,
6. la prise du temps nécessaire à l'information, à la vérification des sources, à l'écoute des arguments de l'autre et des contraintes administratives, techniques ou financières de faisabilité: on sort de l'immédiateté du besoin personnel ou hyper-localisé,
7. le vivier, la pépinière de candidats futurs que peuvent constituer les conseils de quartiers, conçus comme des sortes de "classes préparatoires" de la démocratie.
Je conclus : quand je lis qu'aux dernières élections municipales en COLOMBIE il n'y a eu que 22 candidats assassinés et que cela est présenté comme un progrès, je me dis que nous sommes vraiment les enfants gâtés d'une république ; mais la démocratie offre ce paradoxe d'être à la fois une idée ou une espérance incommensurable et un bien de nature politique qui n'est pas inépuisable et même dont le non emploi peut précipiter la disparition ; la mise en place de la démocratie locale, et c'est le sens du débat de ce soir dont je remercie grandement les "Châtelleraudais réunis", doit nous permettre d'évoluer ensemble vers ce que j'appellerai une démocratie équitable et même une démocratie durable ; c'est à dire sortir de la représentation du pouvoir, qui est conservatrice et mortelle, pour aller vers la transmission de l'autorité, qui est gratuite et vivante.
Je vous remercie.