Dans ma jeunesse, comme beaucoup de mes contemporains étudiants, le suicide était la question centrale, fascinante, la seule pour laquelle, en caricaturant Camus, il fallait ... vivre.
Alors la découverte d'Emil Cioran et de ses textes lucidement désespérés sur la mort et sur l'ineptie de la vie, c'était du pain béni; j'ai dévoré avec délices des centaines d'aphorismes cioranesques sentencieux et mortuairement péremptoires. J'en apprenais par coeur!
Las! Je découvre aujourd'hui, à travers Vincent Piednoir, spécialiste ancien de Cioran, dans son récent ouvrage "Cioran avant Cioran, Histoire d 'une transfiguration", aux éditions Gaussen, que Cioran, alors qu'il était encore dans sa Roumanie natale, avant de venir en France , écrivait entre 1934 et 1937 des textes admiratifs en faveur d'Adolf Hitler , "l'homme politique le plus sympathique au monde", et des textes abjects contre les Juifs ("le Juif n'est pas notre semblable, notre prochain (...) On dirait que les Juifs descendent d'une autre espèce de singes que nous (...) Nous ne pouvons pas nous rapprocher d'eux car le Juif est d'abord un Juif et ensuite un homme").
Officiellement, ces écrits n'ont jamais été reniés.
Finalement, j'aurais du supputer, avec mes camarades étudiants, que cette haine de soi, ce mépris des autres et de l'existence, qui nous séduisaient intellectuellement dans notre désespérance jubilatoire d'alors, n'avaient pu advenir que sur un terreau de misère; je regrette infiniment de ne pas l'avoir deviné, et j'en ai froid dans le dos. Si on savait tout...